ARRESTATION DE DEUX BARONS DE LA DROGUE MEXICAINS AUX ÉTATS-UNIS: «CELA NE CHANGERA PAS GRAND-CHOSE»

C'est un coup majeur porté au puissant cartel mexicain de Sinaloa : deux de ses chefs ont été capturés jeudi 25 juillet au Texas. Ils faisaient partie des trafiquants les plus recherchés aux États-Unis. Il s'agit d'Ismael Zambada Garcia, aussi appelé « El Mayo », co-fondateur du cartel, et de Joaquin Guzman Lopez, l'un des fils du célèbre baron de la drogue « El Chapo ». Le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador a demandé vendredi aux États-Unis un « rapport complet » sur l'arrestation de ces deux dirigeants, lors d'une opération à laquelle le Mexique n'a pas participé. Que signifie cette arrestation pour le cartel et son produit phare, le fentanyl ?

Entretien avec Bertrand Monnet, professeur et directeur de la chaire management des risques criminels à l’École des hautes études commerciales du nord (EDHEC). Il a beaucoup travaillé sur les cartels mexicains, y compris sur le terrain, et a produit pour Le Monde la série « Narco Business » qui se penche sur le cartel de Sinaloa et la production du fentanyl.

RFI : Cette nouvelle de l’arrestation d’Ismael Zambada Garcia et de Joaquin Guzman Lopez vous a-t-elle surpris ?

Bertrand Monnet : Oui, j'avoue que je suis surpris parce que ces chefs de cartel ont un comportement à la limite de la paranoïa. Ils font extrêmement attention à leurs déplacements, ils ne prennent quasiment aucun risque, ils ne communiquent pas avec des téléphones, etc. Leur arrestation est donc assez surprenante. Je pense que c’était une opération complexe qui a permis de les arrêter. Il doit y avoir une trahison.

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Selon les médias américains, Joaquin Guzman Lopez était prêt à coopérer avec les autorités. Il aurait convaincu Ismael Zambada, avec lequel il entretenait une relation presque paternelle, de monter à bord d'un avion privé. Il aurait prétendu qu'ils se rendaient dans le sud du Mexique, mais en vérité, l'avion a atterri au Texas.

Oui, c'est la thèse que font circuler les autorités américaines, mais il faut rester prudent. Quel intérêt aurait ce fils d’El Chapo, qui en a une vingtaine d’ailleurs, de négocier une peine moins lourde avec les autorités américaines. Un autre fils d’El Chapo, Ovidio Guzman, est actuellement détenu aux États-Unis. Son procès est en cours d’instruction. Et il est possible que dans ce cadre-là, il y ait eu un deal entre les autorités américaines et ce fils d'El Chapo pour tendre un piège à Ismael Zambada. Mais encore une fois, il faut être prudent et ne pas oublier qu’il y a une guerre de l'information entre la DEA, l'agence anti-drogue américaine, et les cartels.

Pouvez-vous nous en dire plus sur Ismael Zambada Garcia alias « El Mayo » ?

Ismael Zambada était le co-fondateur du cartel de Sinaloa avec El Chapo. C’était un management dual, assez rare dans ce type d’organisations. Il y avait deux chefs narco qui coopéraient et cela fonctionnait assez bien. Après la deuxième arrestation d'El Chapo et son extradition en 2017 aux États-Unis, Ismael Zambada a pris la direction de l’organisation, entouré des fils d’El Chapo.

Je travaille depuis plus de dix ans sur le cartel de Sinaloa. J’ai rencontré certains chefs, j’ai passé beaucoup de temps avec eux et je peux vous dire que ce cartel, c'est une nébuleuse, ce n'est pas une organisation pyramidale. Il y a une centaine de clans qui constituent ce cartel et qui rendent effectivement des comptes à l'état-major, à la direction, donc à Ismael Zambada. Mais ils ont aussi une grande autonomie. Et c’est pour cela que je suis persuadé que l'arrestation d’Ismael Zambada ne va rien changer dans l'organisation du cartel et dans les trafics qu’il entreprend. Il va y avoir un nouvel état-major et généralement, dans ce type d’organisations ultraviolentes, la relève ne se fera pas par la négociation. Il va sans doute y avoir des guerres de clans, des affrontements sanglants pour désigner une nouvelle autorité.

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Quelle part a le fentanyl dans le trafic de drogue du cartel de Sinaloa ?

Une partie du cartel de Sinaloa a cessé la production du fentanyl parce qu’elle a attiré une pression beaucoup trop forte de la part des autorités américaines. Et cela mettait en danger tous les autres business qu'ils font, notamment le trafic de cocaïne. Mais, preuve de l’autonomie des clans, on a vu que d’autres clans ont continué à produire du fentanyl. Cette production de fentanyl est pour l’instant exclusivement pour le marché américain et canadien. Il y a d’autres cartels qui se sont mis dans ce business. Donc, on ne peut plus associer le fentanyl au cartel de Sinaloa. Il est vrai que ce sont eux qui avaient lancé ce terrible business qui fait des dizaines de milliers de morts tous les ans. Le fentanyl, c’est 30 fois plus fort que l’héroïne, c’est vraiment un fléau.

Le fentanyl est-il plus rentable que la cocaïne ?

D’après mes recherches sur le terrain, la cocaïne reste la drogue la plus rentable avec des marges pouvant aller de 3 700 à 6 000 % sur toute la chaîne du trafic. Le fentanyl est un produit très coupé avec d’autres drogues par les producteurs pour qu'il puisse être consommé dans la rue sans tuer immédiatement son consommateur. D’une manière générale, les marges du fentanyl peuvent atteindre les 4 000 %. Donc pour les cartels, c’est le deuxième produit le plus rentable après la cocaïne.

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