AU SOMMET DE L'OCS, «IL Y A UNE FORME DE PARTAGE D’INTéRêTS ENTRE LA RUSSIE ET LA CHINE EN ASIE CENTRALE»

Les dirigeants des neuf États membres - Chine, Russie, Iran, Inde, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Pakistan - de l’Organisation de coopération de Shanghai se réunissent ces 3 et 4 juillet à Astana au Kazakhstan. Ce rassemblement de pays visait originellement à contrer la présence occidentale dans la région, mais s’est peu à peu éloigné des questions de défense et ne cesse d’étendre son influence, à l’image de la présence de Recep Tayyip Erdogan venu en tant qu’observateur à ce 24e sommet. Nous avons posé trois questions à Bayram Balci, chercheur au centre de recherche international de Sciences-po, spécialiste de la Turquie et de l’Asie central.

RFI : Que cherche la Turquie en se rendant au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai à la rencontre de Xi Jinping, Vladimir Poutine et des chefs d’État d’Asie centrale ?

Bayram Balci : L’objectif de Recep Tayyip Erdogan c’est de faire monter les enchères, placer ses billes un peu partout pour montrer à l'Occident que la Turquie est capable d'être aussi courtisée, d'avoir des choses à recevoir ou à proposer à d'autres partenaires. L’organisation de coopération de Shanghai, pour la Turquie, c'est une façon de montrer qu’elle a une politique étrangère de plus en plus souveraine, qu'elle n'est pas obligée d'être complètement liée à l'Occident. Pour lui, c'est une façon de maximiser les gains. En revanche, une entrée dans ce club en tant qu’État membre de la coopération de l’organisation de Shanghai, ce serait quelque chose d’assez grave. Est-ce que c’est compatible avec une Turquie encore dans l’Otan ? Difficile à dire. À mon avis, il vient surtout montrer qu’il est un acteur qui compte.

La Russie et la Chine sont les deux acteurs clés de cette organisation, comment cohabitent leurs influences en Asie centrale ? 

Il y a une forme de partage des intérêts entre la Chine et la Russie en Asie centrale. C'est-à-dire que la Russie continue à accorder la priorité absolue à tout ce qui est sécuritaire, militaire, défense, et aussi un peu au secteur de l’énergie. Pour le reste, au niveau du commerce et de l'économie, elle ne parvient pas à faire concurrence à la Chine. Le sentiment est que Pékin s’occupe de l’économie et Moscou de la défense. On constate que la Chine n’a pas de base militaire en Asie centrale, mais qu’elle ne cherche pas non plus à en avoir. Ce qu’elle veut, c’est obtenir des accords de coopération avec ces différents États membres, qu'ils arrêtent de soutenir les séparatistes ouïghours, et qu’ils lui permettent de mettre en œuvre sa stratégie de Nouvelles routes de la soie, et d’exporter ses produits. En revanche, si la Russie ne s’intéresse pas à ces questions politiques et économiques, elle pourrait aussi perdre son avantage sur les questions de défenses. Pour l’instant, il y a une répartition des intérêts mais, à long terme, la Russie peut finir par être perdante.  

Est-ce que la Russie pâtit de son statut d’ancienne puissance coloniale dans cette région ?

Très clairement, on peut faire un parallèle avec le sentiment que peuvent provoquer les anciennes puissances coloniales comme la France en Afrique. Pour les pays d’Asie centrale, c’est très important de montrer qu’il y a d’autres acteurs que la Russie. Ils sont demandeurs de coopérations avec la Chine, la Turquie, mais aussi l’Occident, les États-Unis, l’Union européenne. Cela leur permet d’avoir une authentique souveraineté vis-à-vis de la Russie. Par exemple, aucun pays d’Asie centrale n’a apporté de soutien direct à la Russie, dans certains forums internationaux ils ont assuré qu’ils étaient respectueux de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Ils ne reconnaissent pas les républiques fantoches de la Russie - Donetsk et Lougansk -. C’est impossible pour eux, car ce serait donner un feu vert à Vladimir Poutine pour que, dans les années suivantes, il fasse la même chose en Asie centrale. Pour autant, ces pays ne gagnent rien à aller directement à la confrontation avec la Russie, même si elle est contraignante, qu’elle est un symbole de colonisation, d’exploitation, cela reste un partenaire dont ces pays ont besoin. Ne serait-ce que pour le nombre de migrants de ces pays qui vont travailler en Russie. Ils n’appliquent pas non plus les sanctions occidentales à l’égard de la Russie, car ils n’ont pas d’intérêts économiques à le faire.

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