GUERRE AU SOUDAN: CES DESTINS TRAGIQUES QUI S’ENTREMêLENT DANS LE CAMP DE RéFUGIéS DE RENK, AU SOUDAN DU SUD

Le 15 avril 2023 débutait une guerre au Soudan entre l’armée du général Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti. Un an plus tard, ce conflit a entraîné le déplacement de près de 8,5 millions de personnes dont environ 1,5 million à l’étranger. Le Soudan du Sud voisin accueille, lui, plus de 600 000 d’entre eux. Dans le centre de transit de Renk, au Nord de ce pays, les destins tragiques de nombreux réfugiés s’entremêlent. Reportage.

Avec notre envoyée spéciale à Renk, Gaëlle Laleix

Avec des outils de fortune, Samuel, 17 ans, frappe sur une vieille conserve d’aide alimentaire. « Je suis en train de fabriquer des réchauds, explique ce jeune homme, un des très nombreux réfugiés dans le centre de transit de Renk, au Soudan du Sud. Vous voyez, là, j’aplatis la conserve et je la travaille. J’achète les conserves sur le marché pour 100 livres sud-soudanaises, et je vends les réchauds 1 000 ».

C’est Alwasirla, son cousin de 16 ans qui en a eu l’idée. Depuis trois mois, il vit au centre de transit de Renk avec sa famille.

Le Soudan du Sud accueille plus de 600 000 personnes venues du Soudan voisin, en guerre depuis le 15 avril 2023. La plupart arrivent par la frontière de Joda et passent par Renk. De là, ils doivent ensuite rejoindre un camp de déplacés à Maban, plus au Sud. Mais la plupart refusent de s’y installer, car ils en redoutent les conditions de vie. Ils préfèrent rester au centre de transit, à l’instar de la famille d’Alwasirla.

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À Renk, les réfugiés ne reçoivent de l’aide alimentaire que pour quelques jours puisqu’ils sont censés partir pour Maban. Il a donc fallu trouver un moyen de subvenir à leurs besoins. « J’avais cette idée en tête avant de venir ici, explique Alwasirla. Personne ne m’a appris à fabriquer ces réchauds, j’ai commencé tout seul. Nous les vendons au marché et donnons l’argent à ma mère. Nous en vendons deux à trois par semaine. Oui, je travaille, je gagne ma vie et j’aide ma mère ».

La mère d’Alwasirla, elle, souhaite rester près de la frontière, car elle espère encore retrouver son mari, disparu depuis le début du conflit. « Je suis très fière de mon fils, car, sans lui, nous n’aurions rien à manger, lance-t-elle. Avec l’argent qu’il nous ramène, je peux acheter de la nourriture pour deux repas par jour. Son père n’est pas ici, nous n’avons aucune nouvelle. Donc, Alwarsila est le chef de famille. Avec 1 000 livres, je peux acheter 1,5 kilo de farine pour cuisiner ».

« Nous sommes partis à pied, car prendre une voiture était trop cher »

En moyenne, 1 500 réfugiés arrivent à Joda, chaque jour. Le centre de transit de Renk, lui, accueille cinq fois plus de réfugiés que sa capacité. Un site qui continue ainsi de recevoir des personnes fuyant une guerre qui a fait des milliers de morts et a provoqué une crise alimentaire majeure.

C’est à pied, tenant ses enfants par la main que Rebecca, elle, a traversé la frontière. Ils ont quitté Khartoum, la capitale du Soudan, trois semaines plus tôt, après la destruction de leur maison dans un bombardement. « Ça a été très dur de quitter Khartoum, glisse-t-elle. Il y avait des morts dans les rues. Nous sommes partis à pied, car prendre une voiture était trop cher. Les bombes et les tirs résonnaient autour de nous et nous avons remis nos vies entre les mains de Dieu ».

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Merikoul, autre réfugiée, a fait partir ses fils dès le début de la guerre. Sans nouvelles aujourd’hui, elle ne le regrette pas pour autant. « À Khartoum, il n’y a pas de nourriture et personne n’a le droit de sortir, assure-t-elle. Les femmes seulement peuvent marcher dans les rues. Si vous vous déplacez avec votre fils, l’armée l’empêchera de partir. Femmes et enfants, ça va. Mais garçons et jeunes hommes sont pris par l’armée. Les FSR ne font pas ça ».

Sur la route, les déplacés sont aussi pris en étau entre les militaires et les Forces de soutien rapide. C’est avec soulagement que Dogo Ali est arrivé au Soudan du Sud. « Le voyage jusqu’ici a été très dur, car tout au long, il y avait les hommes armés, souffle-t-il. Ils nous arrêtaient pour fouiller le véhicule. Une fois, ils nous ont bloqués deux jours. Parfois, ils battent les passagers, les volent ou même les tuent. Même le chauffeur avait peur d’eux. C’est pour ça qu’il n’a pas utilisé la route principale ».

« Cette guerre n’a aucun sens et ne sert que des intérêts personnels et non le pays »

À Renk, beaucoup de réfugiés sont ainsi de jeunes hommes qui fuient entre autres les recrutements forcés menés par les belligérants. Ahmed Almustapha est l’un d’entre eux. Assis sur une natte dans une tente de fortune, Ahmed, regarde dans le vide. C’est seul qu’il a fui Khartoum et ses dangers. « C’est dur de vivre à Khartoum, abonde-t-il. Il y a des armes et des bombes partout… Et vous êtes entre l’armée et les Forces de soutien rapide. Ne pas rejoindre l’armée, c'est dangereux, mais la rejoindre c’est affreux… Idem pour les FSR. Il n’y pas de bonne solution ».

Sur la route, le harcèlement est le même. Abdallah Mohamed Souleymane, 23 ans, a eu peur tout au long du trajet qui l’a amené jusqu’au Soudan du Sud. « Quand les FSR vous trouvent, d’abord, ils enquêtent sur vous, confirme-t-il. Ils vous accusent de tout et peuvent vous tuer sur un soupçon. Ou alors, ils vous forcent à les rejoindre. S’ils vous tuent, ils feront disparaître votre corps. Ils enquêtent de manière totalement aléatoire. Juste un interrogatoire, comme ça ».

Malgré les pressions et les menaces, Abden Majid Saleh, lui, a tenu têtes aux belligérants. Il a survécu, mais d’autres en ont fait les frais. « L’armée a envoyé mon cousin pour me recruter, mais j’ai refusé, explique cet étudiant en sciences de communication à Khartoum. Les FSR aussi sont aussi venus, trois fois. Ils m’ont menacé, mais j’ai refusé. Mon frère aussi avait refusé et ils l’ont tué. Je refuse de rejoindre les uns ou les autres, car cette guerre n’a aucun sens. Elle ne sert que des intérêts personnels et non le pays ».

En octobre, le rapporteur des Nations unies sur le trafic de personnes s’est inquiété du risque accru de recrutements forcés d’enfants, au Soudan.

« À 20 ans, sans diplôme à Khartoum, il n’y a rien qui m’attend »

Malgré le chaos, de nombreux jeunes rêvent de reprendre leurs études, à l’image d’Abden Majid Saleh qui revient du marché de Renk. Comme beaucoup de jeunes réfugiés, cet étudiant en journalisme y va chaque jour dans l’espoir de trouver du travail. « Souvent, je vends des jus de fruits frais, détaille-t-il. Ça me rapporte 700 à 800 livres sud-soudanaises par jour. J’utilise cet argent pour me nourrir et j’en envoie un peu à ma mère. J’économisais pour partir reprendre mes études au Rwanda. Mais avec le Ramadan, je n’ai plus un sou ».

Inshira Aïza, elle, n’a pas cette possibilité. Terrassée par une maladie de la thyroïde, elle n’a pas la force de sortir du camp. Elle espère pourtant reprendre ses études en économie animale : « D’abord, je vais essayer d’aller à Juba pour trouver mon traitement médical et celui de ma famille. Toute ma famille est malade. Si je trouve mon traitement, j’essaierai de finir mes études à l’université de Juba. Ce serait le rêve… Mais c’est trop cher. »

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Avant la guerre, le Soudan disposait de plus d’une cinquantaine d’universités. La plupart sont aujourd’hui fermées.

Avec des amis, Ahmed Al Mustapha écoute de la musique à la radio. Lui ne part plus chercher du travail, il a perdu tout espoir. « La guerre a tout détruit, y compris mon avenir, lâche-t-il. J’étudiais pour être dentiste. Il ne me restait que trois mois pour être diplômé et pouvoir commencer à travailler. Maintenant tout est ruiné. Je veux juste partir dans un autre pays. À 20 ans, sans diplôme à Khartoum, il n’y a rien qui m’attend ».

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