LéGISLATIVES 2024 : UNE FORTE HAUSSE DES PROCURATIONS MAIS PAS "QUATRE" OU "SIX" FOIS PLUS

Le premier tour des élections législatives anticipées a placé le RN et ses alliés en tête avec 33% des suffrages lors d'un vote marqué par une forte participation et un nombre record de procurations. Certains internautes ont assuré que celui-ci aurait été "quatre" voire "six" fois supérieur à 2022, laissant entendre que cela était synonyme de "fraude". Mais il s'agit d'une donnée partielle mal interprétée : au total, 2,8 fois plus de procurations qu'en 2022 ont été enregistrées avant le 30 juin, selon le ministère de l'Intérieur. Une nette augmentation qui s'explique par le caractère inattendu d'élections à très forts enjeux politiques organisées en période de vacances scolaires, selon les politologues interrogés.

"Plus de 2,6 millions de procurations établies, 4 fois plus qu'en 2022.Ça n'inquiète personne ?! Ça pue la fraude à plein nez !", assure un message posté sur X le 29 juin 2024 et partagé plus de 4.000 fois à la veille du scrutin du premier tour des élections législatives anticipées. 

D'autres publications parlent de "six fois plus de procurations qu'en 2022", comme cette publication X assurant également qu'une "fraude électorale se prépare".

Ce scrutin a été convoqué par Emmanuel Macron après l'échec de ses troupes aux européennes. Le 9 juin 2024, le président avait, à la surprise générale, prononcé la dissolution de l'Assemblée nationale,  provoquant un séisme politique (archive ici).

Après une campagne éclair, le RN et ses alliés ont obtenu le 30 juin 33,15% des suffrages au premier tour, selon le ministère de l'Intérieur, leur meilleur score pour des législatives. Ils ont devancé le Nouveau Front populaire réunissant la gauche, qui a obtenu 28,14% des voix.

Le camp d'Emmanuel Macron a de son côté récolté 20,76% des votes et va voir son nombre de députés considérablement réduit, scellant l'échec du pari du chef de l'Etat de dissoudre l'Assemblée nationale.

Ces élections ont suscité un fort engouement des Français traduit par un taux de participation de 66,71%.  Parmi ces votes, un nombre très important de procurations ont été établies:  plus de 2,8 millions pour le premier tour depuis le 10 juin, selon le ministère de l'Intérieur contacté par l'AFP le 2 juillet.

Un nombre bien plus élevé que celui du premier tour des élections législatives 2022, mais qui pour autant n'est pas "quatre fois" plus élevé qu'en 2022, contrairement à ce qu'on écrit certains médias ou internautes

En effet, au niveau national, en 2022, 1.021.350 procurations avaient été réalisées avant le premier tour, contre 2.813.547 procurations en 2024, soit 2,8 fois plus, selon le ministère.

L'estimation de "quatre fois plus de procurations que 2022" provient d'une mauvaise interprétation d'une donnée communiquée par le ministère de l'Intérieur qui établit régulièrement des comparatifs sur certaines périodes données. 

Le 27 juin le ministère de l'Intérieur avait ainsi expliqué que "par rapport aux élections législatives de 2022, entre J-20 et J-4 avant le 1er tour, 5,1 fois plus de procurations" ont été comptabilisées. Or, ce chiffre a souvent été interprété à tort comme le total des procurations effectuées.

Et entre J-20 et  le jour du premier tour ce chiffre s'élevait à "3,9 fois plus de procurations" que 2022, toujours selon le ministère.

En outre, ces comparaisons sur une période réduite sont à fortement nuancer car cette année, les procurations ont dû être établies en un temps record, 3 semaines, contrairement à 2022 où la campagne s'étalait dans le temps et les électeurs pouvaient donc avoir fait leur procuration avant J-21. 

Fort engouement politique 

Pour les politologues interrogés, cette augmentation nette du nombre de procurations n'est pas étonnante, et s'explique par un contexte très différent de celui des élections de 2022.

"Ce chiffre de 2,8 fois plus de procurations qu'en 2022 est énorme mais s'explique déjà par le fait que la date des élections législatives anticipées n'était pas connue, contrairement aux précédentes législatives", analyse le 1er juillet pour l'AFP le politologue Émeric Bréhier (archive ici).

Le premier tour des élections a ainsi eu lieu le 30 juin et le second est prévu le 7 juillet, en période de vacances scolaires.

"Les électeurs qui ont fait procuration sont des abstentionnistes géographiques qui avait déjà pris leurs vacances ou qui étaient loin de leur circonscription et ont décidé de voter parce que l'enjeu était important", abonde le directeur de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) Luc Rouban (archive ici).

Il est en outre très facile de donner procuration en ligne, et 74% de ces procurations établies entre le 10 et le 30 juin ont été dématérialisées, précise le ministère de l'Intérieur.

Malgré une campagne très courte, près de 7 Français sur 10 se sont rendus aux urnes le 30 juin et la participation a bondi de près de 20 points par rapport aux dernières élections législatives de 2022. 

"Avec la particularité du système politique français, surtout depuis la mise en place du quinquennat, les Français estiment que l'élection présidentielle structure leur vie politique. Ils se désintéressent généralement des scrutins suivants", analyse Émeric Bréhier.

En témoignent le taux de participation lors du premier tour des élections législatives qui ont fait suite aux élections présidentielles en 2007, en 2012, en 2017 et en 2022, bien moins élevé que celui du 30 juin 2024, et qui était jusqu'à cette année en baisse constante.

"Ce scrutin législatif joue, en quelque sorte, le rôle que joue l'élection présidentielle d'ordinaire. Et les procurations participent de ce mouvement", poursuit le politologue.

"Vous aviez des enjeux beaucoup plus importants que lors de législatives ordinaires, qui sont des élections de confirmation de la présidentielle", abonde Luc Rouban.

"Cela faisait depuis 1997 que l'on n'avait pas eu des élections  législatives où la question du pouvoir national n'avait pas déjà été tranchée un ou deux mois avant", confirme le politologue Simon Persico (archive ici).

"Ici, vous avez une réorientation des choix politiques du gouvernement avec trois grandes orientations politiques avec des projets différents. C'était en plus l'occasion d'organiser un référendum pour ou contre Emmanuel Macron. Une opportunité unique d'intervenir dans la politique française alors qu'il fallait sinon attendre encore 3 ans. Une sorte de 'mid-term elections' [élections de mi-mandat, comme aux Etats-Unis, NDLR] inédite sur un plan politique", développe Luc Rouban. 

"La question principale qui est posée aux électeurs, est : est-ce que le Rassemblement national peut et doit accéder au pouvoir ? Ce serait une première en France et un symbole très fort aussi au niveau européen. Une question conflictuelle, car des systèmes de valeurs s'opposent à travers des forces politiques totalement antagonistes, ce qui a eu une dimension particulièrement mobilisatrice pour les électeurs de tous partis, y compris par le biais d'une recrudescence de procurations", souligne le politologue.

Ainsi, s'il obtient une majorité absolue au second tour, la figure du Rassemblement national Jordan Bardella pourrait entrer à Matignon à seulement 28 ans. Alors que les prochaines élections législatives n'étaient initialement prévues qu'en 2027. Il a déjà affirmé le 30 juin qu'il serait "un Premier ministre de cohabitation, respectueux de la Constitution et de la fonction du président de la République, mais intransigeant" sur son projet de gouvernement.

En cas de victoire du RN au second tour, il s'agirait d'une cohabitation inédite entre Emmanuel Macron, président pro-européen, et un gouvernement beaucoup plus hostile à l'Union européenne.

Mais le taux de participation pourrait changer au second tour met en garde Luc Ruban :"Au  premier tour, il n'y avait pas d'abstention différentielle (quand un camp politique s'abstient plus qu'un autre, NDLR). Mais pour le second, il y en aura  très probablement une suite aux différentes alliances politiques".

Accusation de fraudes

Les publications trompeuses sur le nombre de procurations assurent que ce taux record aurait nourri des fraudes massives. Elles relaient pour cela un article de France 3 intitulé "Suspicions de fraude aux procurations : "ils viennent au domicile de personnes âgées", un phénomène inédit et illégal" (archive ici).

Dans cet article, des infirmiers et infirmières à domicile s'inquiètent du fait que des militants tentent de récupérer des procurations de vote auprès de personnes âgées dépendantes. Mais l'auteur de l'article souligne lui-même qu'il est "impossible de savoir combien de ces tentatives ont abouti".

Et comme il le rappelle, "les demandes de procuration sont contrôlées au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie, et les fonctionnaires peuvent même venir à domicile vérifier l'identité et le consentement de la personne qui veut confier son vote, si elles ne sont pas en mesure de se déplacer".

"Même si certains cas étaient avérés, il ne s'agirait que d'un phénomène confidentiel à l'échelle de la mobilisation qu'il y a eu, qui ne pourrait pas selon moi invalider l'élection car on peut faire procuration que pour une seule personne à la fois", estime le politologue Simon Persico.

"Un nombre élevé de procurations ne favorise pas la fraude, c'est très contrôlé. Il y a une procédure très claire", abonde Luc Rouban.

"Pour faire procuration, il faut qu'un individu décide de donner sa voix à quelqu'un d'autre en faisant la preuve de son identité. Et ensuite, c'est tout à fait vérifié que c'est bien la personne porteuse de la carte d'identité à qui on a délégué le vote, qui vote le jour J", pointe Émeric Bréhier.

Pour des élections législatives, le Conseil constitutionnel, juge électoral peut être saisi pour des contestations dans un délai de 10 jours suivant la proclamation des résultats, généralement dans des cas où il existe un faible écart de voix entre les candidats (archive ici). Il avait ainsi publié en 2022 une liste de 91 recours effectués contre les résultats des législatives de juin 2022 (archive ici).

Ces recours avaient abouti à l'annulation des opérations électorales dans huit circonscriptions.

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