TOUR DE FRANCE 2024: DANGER OU RéELLE OPPORTUNITé? POURQUOI LE RECOURS AUX DATAS DANS LE CYCLISME DIVISE AUTANT

C’est la dernière trouvaille de l’équipe Visma-Lease a bike. Celle qui doit permettre à l’équipe néerlandaise de mettre Jonas Vingegaard sur orbite vers un troisième sacre consécutif sur le Tour de France. Le 27 juin dernier, à deux jours du départ de la 111e édition à Florence, la formation s'est dit "fière" de présenter sa Control Room (salle de contrôle), un van équipé de technologies modernes pour centraliser la récolte de données en temps réel durant la Grande Boucle.

"Cela nous permet de récolter et analyser encore plus de données en direct et d'avoir une meilleure vue d'ensemble de la course. On pourra fournir des informations aux directeurs sportifs dans les voitures et les aider à prendre des décisions tactiques plus rapidement", a ainsi expliqué Mathieu Heijboer, directeur de la performance chez Visma-Lease a Bike.

Cet outil, présenté comme "unique dans le cyclisme" par la formation de Jonas Vingegaard, a fait tiquer l'Union cycliste internationale (UCI). L’instance a réagi par un communiqué dans lequel elle assurait procéder à "des vérifications pour s'assurer que le dispositif mis en place par l'équipe est conforme au cadre réglementaire en vigueur".

Les datas? "On peut leur faire dire n'importe quoi"

Cet exemple en dit long sur le rapport ambigu qu’entretient le cyclisme avec les données. Présenté comme une véritable révolution, le recours aux données est un sujet qui passionne autant qu’il divise.

"La grosse problématique aujourd’hui est de donner du sens aux données", résume Frédéric Grappe, directeur performance et innovation chez Groupama-FDJ, sur la radio digitale RMC 100% Route.

"La vraie problématique est qu’avec la quantité de données que l’on a aujourd'hui, comment leur donner du sens et les faire parler pour donner des indications aux coachs, aux directeurs, sportifs, aux coureurs? C’est une vraie difficulté car on peut vite se noyer avec tout ça et j’irais même plus loin: on peut leur faire dire n’importe quoi", prévient le spécialiste.

Pour Frédéric Grappe, les datas ne doivent surtout pas passer avant le ressenti du coureur. "La performance au haut niveau s’effectue avec le feeling. Les datas interviennent derrière. Ne croyez pas que ce sont les datas qui vont faire les champions. La bonne décision doit être prise en fonction du ressenti, des sensations, de tous les indicateurs que vous avez au niveau environnemental. Ensuite, vous pouvez jeter un œil sur vos watts ou les choses comme ça. Mais l’inverse ne fonctionne pas", clame le dirigeant.

"C’est aussi le souci d’aujourd’hui. On est sur une génération de jeunes coureurs qui sont élevés aux datas et qui ont perdu en sensation, en perception, en feeling. Ça m'inquiète beaucoup”, poursuit-il. "On a tendance à regarder l’écran pour comprendre et ensuite éventuellement mettre une note sur le ressenti. Non, il faut réinverser le process."

"Un 'sport scientist' ne va être utile que s’il est bien coaché"

Jérôme Coppel observe également ce problème générationnel. Pour l’ancien cycliste professionnel, reconverti dans le coaching de cyclistes amateurs, les plus jeunes n’écoutent plus leurs corps. "J’entraîne des jeunes et le souci c’est qu’avec des capteurs de puissance trop tôt, ils en oublient les sensations et ne savent pas mettre une sensation en face d’une puissance. Nous, à l'époque, on avait appris à faire des efforts aux sensations. Et on savait combien de temps on pouvait tenir un essoufflement sans aucune assistance. Aujourd’hui ce n’est plus possible. Donc les jeunes, je leur demande de rouler aux sensations sans aucun compteur ou capteur au moins une fois par semaine."

"Il faut revenir au perceptif, au ressenti et ensuite (il insiste) regarder ce qu’on est en train de produire", valide Frédéric Grappe.

"On perd le sens des datas. C’est excessivement compliqué de faire parler les données. Et on peut par moment donner des mauvaises informations aux athlètes. Un sport scientist ne va être utile que s’il est bien coaché, s’il ne part pas dans tous les sens. Vous avez beau avoir la meilleure expertise du monde, ça ne fera pas la performance. La performance, c’est agiter les bons leviers", appuie-t-il.

"Il y a une part d’éducation à faire"

Kevin Yven, justement, est data scientist chez Ineos-Grenadiers, l’une des plus grosses écuries du peloton mondial. Au sein de la formation britannique, son rôle est de développer les outils d’analyse qui vont optimiser la performance dans le domaine du recrutement, de la sélection en interne, du suivi de l'entraînement, de l'analyse des courses ou encore du développement du matériel.

"On a toujours tendance à voir le mal dans tout ça, les données, l’innovation. Je pense que les coureurs sont à même de pouvoir gérer tout ça", répond le spécialiste des données sur la radio digitale RMC 100% Route. "Il y a une part d’éducation à faire, il faut les mettre dans la boucle de tout ça, leur faire comprendre les limites de chaque outil, s’assurer qu’ils utilisent de la bonne manière les modèles prédictifs qu’on peut avoir. Il y a une part d'individualisation où le coach va un peu filtrer les informations en fonction de la personnalité du cœur. Certains coureurs sont très friands, notamment les jeunes, d’un niveau de détail presque un peu trop poussé, alors que les coureurs expérimentés ne vont pas avoir besoin de tout ça."

Vauquelin recruté chez Arkéa grâce aux datas

Kevin Yven a appliqué de manière très concrète ses compétences lors de son paysage chez Arkéa-Samsic (devenu Arkéa-B&B Hotels). Au sein de l’équipe bretonne, il a créé un algorithme qui a comme objectif de repérer les coureurs d’avenir. C’est ce qui a permis à Arkéa de recruter un certain Kévin Vauquelin, vainqueur de la deuxième étape de ce Tour de France 2024 dimanche entre Cesenatico et Bologne.

"L’idée était de mettre en place une plateforme d’analyse pour collecter les données de 650 cyclistes de 35 nationalités différentes", détaille Kevin Yven. "L'idée était de permettre à n’importe quel coureur amateur équipé d’un capteur de puissance de faire partie du processus de recrutement d’Arkéa-Samsic. Dans ce cas de figure, les données sont la première étape du recrutement, quelque chose auquel on peut avoir accès sans avoir encore rencontré le coureur et qu’on peut étendre à une échelle mondiale. Une fois que ce premier filtre est fait, il entrait ensuite dans le processus de recrutement classique. Le but était donc de faire du scouting de manière beaucoup plus large." Et avec succès, dans le cas de Kévin Vauquelin.

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