KENYA: UNE MANIFESTATION MASSIVE CONTRE LA LOI DE FINANCES éMAILLéE DE VIOLENCES

Au Kenya, ce 25 juin est une journée de mobilisation contre le projet de loi de finances 2024, qui entrait en troisième lecture aujourd’hui au Sénat. Des dizaines de milliers de Kényans sont descendus dans les rues des grandes villes du pays. À Nairobi, ils ont convergé dans le centre-ville. D’après l'ONG Amnesty International, des violences ont en parallèle éclaté et les policiers ont tiré à balles réelles. RFI a rencontré des manifestants qui affirment avoir vu plusieurs dépouilles. Plusieurs ONG, dont Amnesty Kenya, font état d'au moins cinq personnes tuées par balles et 31 blessées. La police a repris le contrôle de l'enceinte du Parlement où des manifestants avaient pénétré. Le président Ruto promet de réprimer fermement « l'anarchie ». « Nous apporterons une réponse complète, efficace et rapide aux événements de trahison d'aujourd'hui », a déclaré William Ruto lors d'un point presse à Nairobi.

À Nairobi, capitale du Kenya, la tension est montée progressivement au fil de ce 25 juin 2024, rapporte notre correspondante, Albane Thirouard.

Les manifestants ont fini par entrer dans le Parlement où les députés venaient de voter en faveur du projet de loi de finances publiques. Les marcheurs ont forcé les barricades de police, certains en jetant des pierres. La police a tenté de contenir la foule en tirant à balles réelles.

Sur les réseaux sociaux, l’on voit des vidéos avec plusieurs corps inanimés. Même s’il est encore trop tôt pour confirmer un bilan précis, les organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International Kenya, font état « d'au moins cinq personnes ont été tuées par balles [...]. Trente et une ont été blessées ».

La police reprend le contrôle de l'enceinte du Parlement

En fin d’après-midi, on croisait de longues files de jeunes, habillés en noir, masque sur nez, les yeux irrités, rapporte notre correspondante Gaëlle Laleix. Ils revenaient épuisés de leur confrontation avec les forces de l’ordre. L’armée est venue en renfort de la police, chars à l’appui, face aux « violentes manifestations » a déclaré le ministre de la Défense, Aden Bare Duale.

« Pourquoi déploient-ils l'armée pour combattre des citoyens ? Nous ne sommes pas des terroristes, lance Mundia, un des manifestants sous le choc. On manifestait tranquillement quand ils ont tiré sur des civils qui sont morts maintenant. Tout ce que l'on voulait, c'est qu'ils retirent la loi de finance. Regardez, ce sont des chars militaires, ils sont censés protéger notre pays. Mais ils sont là pour tuer des citoyens. »

La police, dont les sirènes retentissent toujours ce mardi soir dans les rues de Nairobi, a repris le contrôle de l'enceinte du Parlement. Des images de télévision montrent des salles saccagées avec du mobilier renversé. Un incendie a également été déclenché dans les bureaux du gouverneur de Nairobi, pas très loin du Parlement.

Des manifestants ont commencé à repartir du centre-ville en petits groupes. Malgré les tirs de gaz lacrymogènes, de canons à eau et de balles en caoutchouc, ils étaient plusieurs dizaines de milliers à être venus dans le centre-ville de Nairobi ce mardi. Plusieurs d’entre eux se disent choqués par la violence de la réponse policière.

Ces jeunes étaient venus protester pour demander l’abandon du projet de loi de finances publiques. Une contestation qui s’est élargie à un appel à la démission du président du pays, William Ruto. C’est ce qu’ont scandé les manifestants.

Ils se plaignent du coût de la vie, du chômage, de l’inexistence des services publics. Finalement, aujourd’hui, plus que le rejet de la loi de finances, ce que l’on entend dans les cortèges, c’est donc : « Ruto must go ».

« Tout le système est corrompu ! »

Pancartes à la main, drapeau kényan sur les épaules, John, la vingtaine, avait ainsi rejoint le cortège qui s'est dirigé vers la Cour suprême, rapporte notre correspondante à Nairobi, Gaëlle Laleix. Sur son t-shirt était écrit : « Rejetons la loi de finances. » Il expliquait : « Le gouvernement cherche à récupérer 300 milliards de shillings [environ 2,1 milliards d’euros, NDLR] de plus que l’année fiscale précédente. C’est tellement dur pour les Kényans. Notre économie est au plus bas. Les membres du Parlement, que nous avons élus, refusent d’écouter nos opinions. Alors, nous sommes ici pour nous représenter. »

La semaine passée pourtant, les députés ont abandonné plusieurs taxes impopulaires comme celles sur le pain ou sur les transferts d’argent par téléphone. Mais pour Ostin, ce n’est pas suffisant : « Je ne suis pas satisfait, parce que les gens vont souffrir. Et je pense aux villageois. Posséder un terrain signifie maintenant être taxé. C’est fou ! Je pense à ces filles qui ne peuvent pas se payer des serviettes hygiéniques. Je n’ai pas peur, parce que je me bats pour mes droits. Je m’en fiche ! Je suis ici, ils peuvent venir me prendre ! »

Malgré les tirs de gaz lacrymogène, les rues ont d'abord continué à se gonfler de monde avec des jeunes qui, pour la plupart, comme Benedict, 22 ans, veulent un changement de système : « Tout le système est corrompu ! La loi de finances n’est qu’un déclencheur. Les Kényans expriment leur mécontentement sur tout : l’augmentation des factures, le chômage, la corruption massive… Donc, de nos députés au président, tout le monde doit prendre ses responsabilités. »

Tant que le projet de loi n’est pas abandonné, les manifestants prévoient de poursuivre leur mobilisation. « Ils nous ont tiré dessus avec des gaz lacrymogènes, des jets d'eau et des balles réelles. Et maintenant l'armée est sortie pour nous tuer. Laissez-les appeler les militaires ou qui que ce soit, on ne va pas s'arrêter. Aujourd'hui, nous sommes rentrés dans le Parlement et s'ils ne nous écoutent pas, ce sera la présidence », assure Isaac, un manifestant déterminé.

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Le président Ruto promet de réprimer fermement « l'anarchie »

« Nous apporterons une réponse complète, efficace et rapide aux événements de trahison d'aujourd'hui », a déclaré William Ruto lors d'un point presse dans la capitale Nairobi, affirmant que les manifestations ont été « détournées par des personnes dangereuses ».

« Il n'est pas normal, ni même concevable, que des criminels se faisant passer pour des manifestants pacifiques puissent faire régner la terreur contre le peuple, ses représentants élus et les institutions établies par notre Constitution, et s'attendre à ne pas être inquiétés », a-t-il ajouté.

William Ruto a mis « en garde les planificateurs, les financiers, les orchestrateurs et les complices de la violence et de l'anarchie ».

L'Union africaine et l'ONU font part de leur préoccupation

Le chef de la Commission de l'Union africaine a exprimé mardi soir sa « profonde inquiétude » après les manifestations anti-taxes marquées par des violences meurtrières, en exhortant le pays à « faire preuve de calme et à s'abstenir de toute nouvelle violence ».

Moussa Faki Mahamat a fait part dans un communiqué de sa « profonde inquiétude [face] aux explosions de violence qui ont suivi les manifestations publiques et ont entraîné des pertes en vies humaines et dégâts matériels ».

 

Le secrétaire général des Nations unies est « profondément préoccupé » par les violences qui agitent actuellement le Kenya, a affirmé son porte-parole. António Guterres est également « très attristé » par les informations faisant état d'au moins cinq morts dans ces violences, a indiqué le porte-parole Stéphane Dujarric.

Une dizaine de pays occidentaux « fortement préoccupés » par les violences

Plus d'une dizaine de pays occidentaux, dont la France et l'Allemagne, se sont déclarés « fortement préoccupés » par les violences au Kenya lors des manifestations antigouvernementales réprimées par la police.

Dans un communiqué commun de leurs représentations diplomatiques, le Canada, le Danemark, la Finlande, l'Allemagne, l'Irlande, les Pays-Bas, l'Estonie, la Norvège, la Suède, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Belgique et les États-Unis déplorent notamment les morts et blessures par armes à feu survenus à Nairobi.

« Nous condamnons la violence sous toutes ses formes et nous appelons au calme », a déclaré une porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, interrogée sur les manifestations antigouvernementales qui ont viré au chaos à Nairobi, la capitale du Kenya. « Les États-Unis surveillent de près la situation à Nairobi », a-t-elle également indiqué.

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