PRéSIDENTIELLE IRANIENNE: «TOUT CE QUI CONSTITUE UNE DéMOCRATIE N'EXISTE PAS EN IRAN»

Les Iraniens sont appelés à élire le prochain président de la République islamique ce vendredi 28 juin. C'est le deuxième rendez-vous électoral après le mouvement Femme Vie Liberté qui a fait trembler la République islamique d'Iran. Les législatives de mars dernier ont été marquées par une abstention officielle record de 59%. Cette fois, un réformateur a été autorisé à se présenter, mais beaucoup d'Iraniens se disent désabusés. C'est le cas d'une grande partie de la diaspora. Entretien avec Aïda Tavakoli, Franco-Iranienne, présidente de l’association We Are Iranian Students.

 

RFI : Au sein de votre association d’étudiants iraniens à l’étranger, comment prenez-vous part aux débats qui entourent la présidentielle iranienne ?  

Aïda Tavakoli* : Nous avons publié une tribune commune avec des étudiants de l’intérieur de l’Iran et aussi des associations étudiantes iraniennes aux États-Unis et au Canada. Nous appelons à ne pas voter.  

Il y a eu beaucoup de débats au sein du corps académique iranien à l’intérieur du pays sur l’éventualité de voter pour le candidat réformiste Masoud Pezeshkian. Certains professeurs se sont prononcés en faveur de ce vote. En réaction, les étudiants ont rappelé que Pezeshkian avait joué un rôle dans les répressions, notamment des mouvements étudiants. C’est finalement le cas de tous les candidats. D’autre part, les candidats passent par le crible d’une sélection du Guide suprême qui, après la mort du président Raïssi, a rappelé que tout était sous contrôle puisque c’est lui de toute façon qui gouverne le pays.

S’il est vrai qu’il y a eu des différences entre les différents mandats entre réformistes et conservateurs, il y a aussi une ligne directrice qui est la répression extrêmement brutale et violente de la population, la disparition de tout espace de liberté, de démocratie, de liberté d’expression. En fait, tout ce qui constitue une démocratie n’existe pas en Iran, on a vraiment une forme dictatoriale, totalitaire. Et donc le vote n’a pas de sens. Donc, c’était le sujet de cette tribune, c’était de dire : ce vote-là, dans ces conditions-là, n’a absolument aucun sens. 

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Et autour de vous, des Iraniens que vous connaissez en France, est-ce qu’il y a des gens qui se posent la question d’aller voter ? 

Autour de moi, non. Mais j’ai écouté beaucoup de débats qui se déroulent actuellement en Iran sur la question de ce vote. Et ce qui est intéressant, c’est que ce n’est pas l’espoir d’un potentiel changement qui encourage le vote pour Pezeshkian. C’est plutôt l’idée que peut-être qu’un réformiste qui n’a pas une ligne absolument conservatrice et totalitaire puisse entrer dans le circuit gouvernemental et de pouvoir quelque part amener une fissure. Par exemple, le candidat Jalili qui est le favori du guide suprême qui lui permettrait de faire un bloc unique autour de l’idéologie ultra-conservatrice. Donc, le vote est présenté comme une espèce de stratégie, une étape vers la fissure et la chute du régime. 

Entre la fermeture de tout espace de liberté en Iran et la distance que vous impose la vie à l’étranger, comment est-ce que votre association arrive à rester active ?  

Notre rôle ici en tant que diaspora, et c’est le cas depuis l’automne 2022, c’est en premier lieu de faire de la lumière sur la répression qui a lieu en Iran. On a l’impression que c’est symbolique et que ça ne sert pas à grand-chose d’en parler à part tous nous déprimer. Mais en fait ça sauve des vies. 

Le régime a besoin de redorer son image sur la scène internationale, en tout cas de faire en sorte d’avoir à nouveau une place dans le concert des nations. C’est une nécessité économique pour la survie du régime islamique. Une importante campagne à l’international a par exemple été menée contre la condamnation à mort de Toomaj Salehi. Ce rappeur a dénoncé dans ses textes la corruption, la privation de liberté et la répression du régime islamique. Sa condamnation à mort a été récemment annulée. C’est évidemment en lien avec la proximité de l'élection présidentielle pour amadouer la population, mais la pression internationale lui a sauvé la vie. Prenez le cas également des 20 000 prisonniers de l’automne 2022, arrêtés pour avoir manifesté pour "Femmes Vie Liberté", leur moyenne d’âge était de 17 ans. Suite à l’ouverture de l’enquête spéciale de l’ONU sur cette répression, 10 000 de ces 20 000 prisonniers ont été libérés. Ces 10 000 personnes ne sont plus en prison parce que la lumière a été faite et qu’on a saisi nos institutions internationales, que ce soit le Parlement européen ou l’ONU, pour faire pression sur ce régime. 

Hier, à la veille de l'élection présidentielle, plus de 30 associations, dont la nôtre, ont également appelé à l’application d’une résolution votée en 2023 au Parlement européen. Les actions et les sanctions à l’encontre du pouvoir iranien que prévoit ce texte doivent entrer dans les circuits exécutifs européens.  

En résumé, toute l’action de la diaspora, c’est d’une part de faire de la lumière et d’autre part d’amener nos gouvernements démocratiques à sanctionner le régime islamique de manière que l’appareil répressif soit affaibli et que l’espace d’expression de la population iranienne soit enfin libéré.  

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La guerre à Gaza a créé un nouveau rapport diplomatique aussi entre les pays occidentaux et l’Iran, arrivez-vous encore à trouver des interlocuteurs politiques pour parler de la population iranienne ?  

C’est vrai que c’était beaucoup plus facile en 2022 et le discours qu’on porte est plus difficilement audible. La population gazaouie comme la population iranienne sont toutes les deux prises en otage par des régimes qui sont totalitaires et fanatiques. Le Hamas et le régime islamique partagent beaucoup de lignes politiques et idéologiques avec les mêmes méthodes de répression de leur population. Le grand drame de la jeunesse palestinienne, notamment gazaouie, c’est qu’elle est prise aussi par l’occupation israélienne.

Le régime iranien instrumentalise ce conflit-là, pour redorer son image aux yeux des pays arabes, alors que ce n’est qu’une question de pouvoir et de décrédibilisation des régimes occidentaux. En réalité, cette décrédibilisation des régimes occidentaux pourrait se faire sur la tombe de l’ensemble des Palestiniens, que ça leur irait très bien aussi. C’est évident quand on voit que les droits de leur propre population iranienne et la vie des Iraniens ne leur importent que peu.  

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En 2022, lorsque le mouvement Femme Vie Liberté a fait vaciller la République islamique et qu’il fallait présenter une alternative, la distance entre la diaspora et la population iranienne a été présentée comme un obstacle à un combat commun. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que l’unité et l’unisson du début de cette révolution étaient absolument extraordinaires, que ce soit pour la population à l’intérieur de l’Iran ou pour la diaspora à l’extérieur, au-delà de toutes les sensibilités politiques, les générations, les appartenances ethniques, les confessions religieuses. Tous se sont unis derrière ce slogan "Femme, vie, liberté". Au fur et à mesure que ce mouvement avance, je pense que c’est tout à fait sain que les aspirations de chacun pour l’avenir de l’Iran se précisent parce que ça veut dire que le mouvement se théorise, qu’il se politise et qu’il se construit pour l’avenir.

Donc, évidemment qu’on ne peut pas attendre d’une population de 88 millions d’habitants à l’intérieur de l’Iran et de 8 millions d’Iraniens à l’extérieur de l’Iran d’être tous absolument d’accord. Mais les espaces démocratiques de débat commencent à naître. Et c’est ça qui est important, c’est que des médias alternatifs, des chaînes privées, nos plateformes sur les réseaux sociaux, aujourd’hui, relaient des paroles militantes qui sont construites politiquement, qui portent des aspirations et des programmes pour l’avenir de l’Iran. Et je pense que c’est une très bonne nouvelle.  

 

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* Aïda Tavakoli est Franco-Iranienne, présidente de l’association We Are Iranian Students formée en 2022 après la mort de Jina Mahsa Amini et le soulèvement Femme Vie Liberté. Cette association loi 1901 est engagée pour la protection des droits des étudiants iraniens et plus largement du peuple iranien. 

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